Ouvrages consacrés à Benjamin Fondane
Rencontres autour de Benjamin Fondane poète et philosophe
Actes du colloque de Royaumont avril 1999.Édité par Monique Jutrin
Parole et Silence 2002.
- Présentation
- Du même auteur
AVANT-PROPOS
"La rencontre nous crée : nous n'étions rien -ou rien que des choses - avant d'être réunis" (Bachelard)
Ma première visite à la Fondation Royaumont ne fut pas un fruit du hasard. La bibliothèque avait recueilli en 1952 des livres ayant appartenu à Fondane, annotés de sa main. Je fus séduite par le lieu: le calme, la sérénité, les échos d'une musique ancienne que répétaient des musiciens, tout finit par me persuader d'organiser à Royaumont le colloque marquant en 1998 le centenaire de la naissance de Benjamin Fondane.
Le jour de l'ouverture, nous eûmes la grande joie de nous retrouver entre amis. Ce furent, durant ces trois journées, d'extraordinaires échanges d'idées, de connaissances, dans la bibliothèque, autour de la grande table, dans la salle à manger autour des repas, ou encore le soir, après les spectacles poétiques avec Eve Griliquez, André Cazalas, Marc Sephiha et Yves - Jacques Bouin. L'atmosphère de l'abbaye contribua-t-elle à créer ces moments de grâce ? Il est vrai que les murs épais ne permettaient pas aux messages de parvenir aux téléphones portables. Au moment du départ, nous étions emplis de la certitude d'avoir vécu autour de Fondane des heures exceptionnelles. Nous savions aussi que pour son œuvre s'ouvrait une ère nouvelle.
Comme je le rappelais dans mon message d'ouverture, nous avions longtemps vécu avec l'illusion que Fondane était un auteur peu connu. Prononcer son nom équivalait à un mot de passe, connivence entre initiés. Si nous avons vécu avec cette illusion, c'est que Fondane est un auteur qui interpelle chaque lecteur en particulier. Il s'adresse à l'individu, il l'empoigne, le vise au cœur. Je le cite: " L'écrivain s'adresse non au social mais à l'individu, et l'individu, non de passion de surface à passion de surface, mais de région profonde à région profonde." ( L'Ecrivain devant la révolution). Ainsi s'explique ce travail secret qu'il a opéré en chacun de nous. Car si Fondane souhaitait être reconnu, il voulait surtout être choisi, être élu par un individu.
Ainsi fut donc réuni l'atelier virtuel de ceux qui, depuis des années, poursuivaient leur recherche autour de son œuvre. Ce qui pourrait expliquer la richesse de notre rencontre, c'est que les participants venaient d'horizons divers : littéraires et philosophes, physiciens et poètes, traducteurs et acteurs, sociologues et esthéticiens. De plus, il s'agissait d'êtres doubles: les philosophes étaient poètes, les physiciens étaient philosophes, le mathématicien était romancier. Et nul d'entre nous n'était animé par la nécessité de "conclure", mais par le désir de poursuivre le dialogue.
Nous avons surtout tenté de situer Fondane: d'abord dans le contexte de son époque, dans son commerce intellectuel avec ses contemporains, ensuite dans le contexte actuel de notre fin de siècle. Entreprise qui n'est guère aisée, étant donné la multiplicité de son activité : poétique, philosophique, critique, sans oublier le théâtre et le cinéma. Ajoutons qu'il fut un écrivain à la fois français et roumain.
Comme le constata Michaël Finkenthal: si, d'une part, l'œuvre de Fondane connut une période d'éclipse, elle resurgit à notre époque, témoignant d'une actualité renouvelée. Cette résurgence est due en particulier à l'importance et à l'urgence des questions qu'elle pose à l'homme de la postmodernité. Il s’agit d’abandonner la tyrannie d’un “point de vue” fondé sur la rationalité absolue.
Fondane n'a pas craint de s'aventurer sur les sentiers les plus raides de la philosophie, de l'anthropologie, et même de la logique ou de la physique. Il était à la recherche d'autres catégories de la pensée, d'autres critères d'observation, qui pourraient ébranler nos jugements établis. B. Nicolescu, évoquant ses relations avec Lupasco, souligna combien Fondane avait saisi l'enjeu de cette pensée concernant l'antinomie entre le rationnel et l'irrationnel.
On ne cesse de s'étonner de sa claivoyance, de sa lucidité. Il fut l'un des premiers à voir clair en Heidegger et en Céline, il a prévu l'évolution ultérieure de Bachelard. A propos de l'expérience de la discontinuité, Ann Van Sevenant montra combien la pensée de Fondane est ouverte à l'absurde, à l'ambiguïté, et combien son écriture se fonde sur la coexistence des contraires.
Pour Olivier Salazar-Ferrer, la pensée fondanienne se présente avant tout comme une révolte contre la finitude humaine: il la confronte à celle de Camus, avec qui les affinités philosophiques promettaient un dialogue passionnant, interrompu par la mort. Alors que Camus accepte la finitude, s'orientant vers une sagesse des limites, Fondane aspire à dépasser ces limites. A partir des notions de l'écœurement et du dégoût, Till Kuhnle a rapproché Fondane et Levinas; quant à Arta Lucescu, elle a examiné la situation de Fondane par rapport à la philosophie existentielle.
Si de nombreuses communications se rapportaient aux aspects philosophiques de l'œuvre, le poète n'a pas été négligé. Fondane ne répétait-il pas à l'envi qu'il était devenu philosophe pour " défendre sa poésie" ? Claude Vigée nous présenta le juif poète, soulignant le caractère “irrésigné” de cette poésie, son exigence d’une intervention divine, rappelant aussi combien l'expérience de Fondane avait été décisive pour sa propre formation, et terminant par la lecture de son poème " Pierre à feu", inspiré par Fondane. A une poétique existentielle répond une lecture existentielle: si le poète s'expose au danger, le lecteur ne pourra échapper au risque lui non plus, ainsi que je l'ai développé dans " Un lecteur nommé Ulysse". Aucune poésie véritable n'échappe à la rencontre avec la mort, comme le rappela Ricardo Nirenberg, examinant l'œuvre et l'existence à la lumière de la notion de sacrifice, critère et source de vérité.
Nous devrons nous contenter d'énumérer les nombreux sujets abordés. Le problème de la continuité de l'œuvre française et roumaine (Marlena Braester et Anne-Rosine Delbart); la figure de l'émigrant dans la poésie française de Fondane (Gisèle Vanhese): les procédés d'écriture et de réécriture dans Le Mal des fantômes (Elisabeth Stambor); l'analyse d'un curieux texte de Fondane sur Cocteau (David Gullentops); la collaboration à la presse juive roumaine, aspect inédit significatif, annonçant les futurs développements de sa pensée (Ramona Fotiade et Léon Volovici); sa collaboration aux Cahiers du Sud (Claire Gruson); sa situation dans la littérature roumaine (Ion Pop); une réflexion à partir de la bibliographie de l'œuvre (Eric Freedman et Remus Zastroiu).
Nous tenons à signaler la présence d'autres participants : Michel Carassou, éditeur des œuvres de Fondane; la cinéaste Ana Simon et son équipe qui filmèrent ces trois journées; et tous ceux venus des Etats-Unis, de Belgique, d'Italie et des quatre coins de France.
Nous posâmes des jalons pour un énorme terrain à arpenter, à défricher. “Vous avez un continent à découvrir” s’écriait Jean-Baptiste Para lors de la soirée à la Maison des écrivains, quelques jours plus tard.
Nous tenons à exprimer toute notre gratitude à ceux qui nous aidèrent à organiser cette rencontre : Mme Elisabeth Pauly au nom des Célébrations Nationales, Mme Nelly Hanson, au nom de la Fondation du Judaïsme français, Eric Freedman, président de la Société française d’étude B. Fondane, Claire Gruson, la secrétaire et Isi Zultak le trésorier.