SOCIÉTÉ D'ÉTUDES BENJAMIN FONDANE

Entre mystique et philosophie N° 21

Éditorial

« La rencontre nous crée. Nous n’étions rien – ou rien que des choses – avant d’être réunis », disait Gaston Bachelard. Ne pourrait-on ajouter que les rencontres de Peyresq nous ont en quelque sorte créés ? Car, à force de nous frotter les uns aux autres, de nous empoigner – au-delà de nos divergences – nous avons fini par forger des outils pour penser Fondane, les affûtant peu à peu. C’est pourquoi, lors de l’ouverture du séminaire 2017, j’ai proposé l’appellation d’« École de Peyresq », tout en précisant qu’il ne s’agit pas d’une doctrine ni d’une secte, mais d’un libre échange sans nulle contrainte : ce terme désignerait un groupe d’êtres réunis par un esprit commun.

Cet été, les discussions furent particulièrement vivaces, elles se poursuivirent ensuite par courriel ou par téléphone. La première séance, consacrée au tapuscrit inédit sur la mystique, fut introduite par Dominique Guedj et Monique Jutrin, qui s’interrogèrent sur le statut particulier de ce texte, sur la pensée qui le sous-tend. Ensuite, Margaret Teboul situa la mystique dans le contexte de l’époque, et Alice Gonzi posa la question du Mal en se référant en contrepoint à la pensée grecque et à Nietzsche.

« Comment appréhender l’essentiel à partir d’un détail ? » se demanda Aurélien Demars, qui se livra à l’exégèse de la citation latine emancipata a Deo, renvoyant à l’hérésie de Pélage et à sa controverse avec saint Augustin. Quant à Gabriela Bal, elle nous fit entendre des échos de Plotin dans la pensée de Fondane et de Chestov. Une réflexion sur l’expérience mystique des primitifs selon Lévy-Bruhl fit l’objet de l’exposé de Serge Nicolas, qui souligna que la notion de participation est présentée comme une source de l’évidence mystique. Saralev Hollander eut recours à la kabbale juive pour éclairer le texte sous un autre jour, en utilisant la méthode du déplacement. Jean Dhombres nous décrivit l’hexagramme mystique de Pascal, tout en rappelant la figure du philosophe mathématicien telle qu’elle fut perçue dans les années 20 par Valéry, l’abbé Brémond et Chestov.

La seconde séance, centrée sur Titanic, fut présentée par Monique Jutrin, qui rappela la genèse du poème, sa lente germination entre 1929 et 1937. Evelyne Namenwirth tissa un lien entre la réflexion sur la mystique et le texte poétique, en approfondissant la notion particulière du temps de Titanic, à partir de la métaphore de la cloche enfouie qui sonne le temps à rebours. Fraternités urbaines : c’est le thème sur lequel Agnès Lhermitte a focalisé son propos. En effet, à la suite de Hugo, de Baudelaire, de Rimbaud, et d’Apollinaire, Fondane rencontre les misérables des temps modernes avec une compassion fraternelle. Heidi Traendlin aborde une autre forme de fraternité, celle de l’homme et de l’animal : le bestiaire de Titanic englobe la biche et l’escargot, le coq et le boa. Enfin, Francine Kaufmann s’attacha à la quête du sens, un thème qui parcourt l’œuvre entière.

Lors de la séance roumaine, Carmen Oszi nous présenta la collaboration de Fondane au périodique Mântuirea, tout en se concentrant sur le compte rendu de l’article de Valéry à propos de la crise de l’esprit en 1919. Aurélien Demars nous fit part de sa découverte de sept articles de Fondane consacrés à Shakespeare entre 1920 et 1922, tentant de cerner la signification du dramaturge pour Fondane et Chestov.

En outre, Dominique Guedj évoqua la figure de René Allendy, dont elle soupçonne l’impact qu’il put avoir sur Fondane, en particulier avec l’Essai sur la guérison, prônant une médecine fondée sur l’unité de l’homme et du vivant. Les relations entre Fondane et Denis de Rougemont furent exposées par Eric de Lussy, qui se pencha sur Politique de la personne, livre annoté par Fondane, auquel il consacra un compte rendu, et nous lut deux lettres intéressantes.

L’artiste peintre Marina Haccoun-Levikoff nous rendit visite, tout en nous montrant un certain nombre de ses livres d’artistes, où elle adapte à chaque texte une forme appropriée afin de mieux explorer son mystère. L’une de ses œuvres est consacrée à la « Préface en prose ». Louise Navello-Sgaravizzi, l’historienne de Peyresq, nous fit visiter la petite église Notre-Dame, dont le chœur fut restauré récemment grâce au travail bénévole des habitants du village.

Tous nos remerciements à Carmen Oszi, qui projeta un film documentaire sur les Juifs de Roumanie, à Evelyne Namenwirth qui nous fit bénéficier d’exercices de souffle-voix et à Gabriela Bal qui nous initia à l’eutonie. Aussi à Gheorghe Samoila, bibliothécaire à l’Université de Jassy, pour sa précieuse contribution.

Reste la tristesse d’évoquer ceux qui nous ont quittés : Isi Zultak, à qui nous dédions ce Cahier 21, Eve Griliquez, Claude Hampel et André Montagne.

La parution de ce Cahier 21 coïncide avec les 120 ans de Fondane, nous lui souhaitons longue vie.