SOCIÉTÉ D'ÉTUDES BENJAMIN FONDANE

Fondane homme de théâtre - Au temps du poème N° 20

Benjamin Fondane face à Henri Lefebvre

Monique Jutrin

Au colloque de Rome : Benjamin Fondane et la conscience tragique du XXe siècle (24-25 novembre 2016), Michel Carassou a affirmé que durant le premier semestre de l’année 1936 paraissent deux livres qui « s’opposent radicalement et d’une certaine façon se répondent ». En effet, en février 1936 paraît chez Gallimard La Conscience mystifiée[1]d’Henri Lefebvre et Norbert Guterman, un ouvrage de critique marxiste, et trois mois plus tard, La Conscience malheureuse paraîtra chez Denoël.

Fondane a lu La Conscience mystifiée, puisqu’en avril 1936 il manifesta dans une lettre à Jean Ballard son désir d’en faire un compte rendu pour les Cahiers du Sud, mais celui-ci lui répondit qu’un autre collaborateur s’en chargerait. Selon Michel Carassou, suite à cette lecture, Fondane aurait ajouté un passage sur les épreuves de la préface. S’agit-il du texte opposant la révolte sociale et le matérialisme dialectique, à la catégorie métaphysique ?[2] Ajoutons qu’en 1936 Fondane écrivit dans les Cahiers du Sud un bref compte rendu d’un texte traduit du russe par Lefebvre et Guterman : Cahiers sur la dialectique de Hegel, par Lenine. Fondane y cite un passage de l’introduction écrite par les traducteurs, où il est dit que « la pensée qui va de Kierkegaard à Heidegger est une caricature réactionnaire (fasciste) du matérialisme dialectique ». Et Fondane d’ajouter que la frivolité de ce bout de phrase l’empêchera de revenir à ce livre !

En 1939, Fondane lut le Nietzsche de Lefebvre, dans lequel seules trois pages furent coupées au sujet de Nietzsche et du nazisme. Fondane n’éprouva aucun désir de le commenter dans les Cahiers du Sud, malgré la proposition de Ballard.

Après la guerre, dans son essai sur L’Existentialisme, Lefebvre marque sa préférence pour l’existentialisme mystique (sic) de Fondane, qu’il oppose à l’existentialisme de Sartre. Soulignons que ce texte fourmille d’erreurs factuelles à propos de Fondane et que l’auteur n’a manifestement pas compris l’essence de sa pensée existentielle. Une autre preuve de cette incompréhension : Lefebvre a élaboré « une théorie des moments », en prétendant se fonder sur un passage du chapitre consacré à « Léon Chestov témoin à charge » dans La Conscience malheureuse. L’on explique difficilement comment ce passage, qui concerne la seconde dimension de la pensée, a pu donner lieu à cette théorie. L’on mesure d’autant mieux l’abîme qui sépare les deux auteurs.

[1]Cet ouvrage traite de l’aspect public de la conscience sociale et des mécanismes permettant au pouvoir de la manipuler.

[2]Comme Michel Carassou n’a pas apporté de précision, nous en sommes réduits à des hypothèses. Nous n’avons pu vérifier cette affirmation dans les dernières épreuves, qui furent envoyées le 25 avril 1936 par Denoël.