Benjamin Fondane et le théâtre - Relecture d'Ulysse N° 11
Propos liminaire : quelques repères
Il convient de souligner dès l’abord l’intérêt constant dont Fondane témoigna pour le théâtre. Toutefois, aucune de ses pièces ne fut jouée ni éditée de son vivant. A l’heure actuelle son théâtre est en grande partie inédit.[2] Seul Le Festin de Balthazar fut édité en 1985, et Philoctète, inédit en français, a été publié en anglais. Le Puits de Maule est inédit.
Textes de jeunesse
Benjamin Fondane a écrit et traduit des textes de théâtre dès l’adolescence. La plupart des manuscrits sont conservés à la Bibliothèque de Yale dans le Fonds Fondane. En voici le contenu :
1. Une scène de l’opéra Lord Byron, d’après le texte de Heine. 1912 (2 pages).
2. Ahasver : traduction de la pièce de l’écrivain hollandais Herman Heijermans. Fondane s’est fondé sur une traduction allemande. 1914 (17 pages) [3].
3. Traduction de la scène 6 de l’acte III de Poliche, d’Henri Bataille. Sans date.
4. Fragments d’une traduction de Goethe : Satyros ou Le faune fait dieu, (1773). Sans date. (8 pages).
5. Revista «cahalandala», acte III, (se déroule dans le train de Jassy à Bucarest). Sans date. (2 pages)
6. Spitalul Israelit, deux actes, signés Funfurpan (41 pages). Sans date.[4]
7. Funigeilor, adaptation de la pièce de D. Anghel et St. Iosif pour Insula. [5]
8. Tăgăduinţa lui Petru, daté de décembre 1917.
Ce poème dramatique sera publié en février 1918.[6]
*
Dans son introduction à Philoctète, Fondane fait allusion à une première version roumaine du texte datée de 1922, dont le manuscrit n’a pas été retrouvé. Par contre, la version roumaine du Festin de Balthazar se trouve à la Bibliothèque Doucet.
Dans son «Portrait de mémoire»[7], Al. Philippide mentionne une pièce intitulée Critique de six personnages en quête d’auteur, où Fondane aurait utilisé les motifs de Pirandello. Nous n’avons retrouvé aucune trace de cette pièce.
Ecrits sur le théâtre
Fondane écrivait régulièrement des articles de critique théâtrale dans la revue Rampa, dirigée par Faust Mohr à Bucarest. Il fut leur critique théâtral attitré entre 1916 et 1923, avec sa « Chronique d’un inactuel » et des articles consacrés au Théâtre National de Jassy, (Shakespeare, Ibsen, Maeterlinck, Claudel) ou à des acteurs roumains (Ion Manolescu, Petre Sturdza, Carmen Catargi, Ion Morţun).[8] Il a également publié des articles sur le théâtre dans d’autres revues roumaines, comme Hatikvah (Galatz) ; Omul Liber (Jassy) ; Scena (Bucarest) ; Mântuirea (Bucarest), Contimporanul (Bucarest) ; il y publia un article sur le Théâtre du Vieux Colombier en 1922 (no 21, 9 déc. 1922, pp. 12-15)[9].
Son premier article en français est consacré au théâtre roumain ; intitulé « Un siècle de théâtre », il parut dans la revue Choses de théâtre (Paris), dirigée par Matei Roussou, en janvier 1922. En voici un extrait : « Notre répertoire ne peut donc être d’un grand intérêt pour l’Europe. Nous avons peu de théâtres. (…) Le public ne réclame nullement de l’art (…) L’histoire du théâtre en Roumanie commence par des acteurs et c’est par des acteurs qu’elle se soutient. »
Expérience théâtrale et liens avec les acteurs
Pour le théâtre d’avant-garde Insula[10], qu’il créa à Bucarest en 1922, Fondane avait choisi comme devise : « Pour l’œuvre nouvelle, qu’on nous laisse un tréteau nu ». Selon les programmes de l’époque[11], son répertoire est largement inspiré par celui de Copeau, de Charles Dullin et de Georges Pitoëff (Molière, Musset, Lope de Rueda, Tchekhov, Lord Dunsany). Molière (Le Médecin volant/Doctorul Zburator) fut traduit par Fondane, et Dunsany (The Glittering Gate/În faţa porţilor de aur) fut traduit par Armand Pascal, le beau-frère de Fondane.
Armand Pascal interpréta avec Lina Fundoianu-Pascal, la sœur de Fondane, Legenda Funigeilor en décembre 1922 (les autres acteurs étaient Anicuta Cârje-Vlâdicescu et F. Florian). En février 1923, dans la pièce de Dunsany, l’on trouve les acteurs Ion Morţun[12] et Armand Pascal, et dans la pièce de Molière, en plus d’Armand et de Lina Pascal, ont joué Mitu Mateescu, Victoria Mierlescu[13], Sandu Eliad[14], Ion Aschie et S. Dumitrescu. Les costumes étaient de Stefan Maur.
A Paris, Armand Pascal, fut régisseur aux Studio des Champs-Elysées. L’acteur Luca Gridu, devenu Lucas Gridoux[15], était lié d’amitié à Fondane. Nous avons eu l’occasion, en examinant le carnet d’adresses de Fondane,[16] de signaler les nombreux amis et collègues issus du monde du spectacle : Artaud,[17] Pascal Copeau (fils de Jacques Copeau), Steve Passeur, Marie-Ange Rivain, Raymond Rouleau, Michel Simon, pour n’en citer que quelques-uns.
*
En janvier 44, dans sa dernière lettre à Boris de Schloezer, Fondane annonce qu’il vient d’écrire une pièce inspirée par le roman de Nathaniel Hawthorne. Il mentionne aussi Le Soulier de satin, qu’il n’a malheureusement pas pu revoir à la scène, mais qu’il vient de relire : « une merveille ». Ainsi, jusqu’à la fin, l’intérêt de Fondane pour le théâtre n’aura pas faibli. Auteur et critique dramatique, directeur de théâtre, spectateur fervent, Fondane aura pratiqué le théâtre sous toutes ses formes.
[1] Pour de plus amples informations sur son théâtre, voir les publications d’Eric Freedman :
a) Edition du texte et introduction : Benjamin Fondane, Le Festin de Balthazar, St. Nazaire, Editions Arcane 17, 1985.
b) « Le théâtre de Benjamin Fondane », Approches (Université de Haïfa, Israël), 3, mai 1985.
c) « Benjamin Fondane : deux préfaces inédites », BSEBF, 1, printemps 1994, pp. 2-5.
d) « Présentation : Benjamin Fondane, Philoctète (extraits) », Le Mâche-Laurier (Sens, Editions Obsidiane), 2, juin 1994, pp. 33-37.
e) Introduction et traduction : Benjamin Fondane, Philoctetes, Cardozo Studies in Law and Literature (New York), 6, 1, Spring/Summer 1994, pp. 111-vii, 1-50.
f) “Benjamin Fondane: Philoctetes and the scream of exile”, Cardozo Studies in Law and Literature (New York), 6, 1, Spring/Summer 1994, pp. 51-62. Réimpression dans: Thomas J. Schoenberg (ed.), Twentieth-century literay criticism, Thomson Gale, 159, 2005.
g) “Le théâtre de Benjamin Fondane: le cri et le texte”, Anuar de Lingvistică şi Istoria Literară, Seria B : Istorie Literara (Iaşi, Editura Academiei Romane), vol. XXXIV, 1994-1995, pp. 179-186.
h) « Fondane dramaturge », Europe (Paris), 827, mars 1998, pp. 79-89.
i) « Présence de Chestov dans le théâtre de Fondane. », dans : Ramona Fotiade (ed.), The Tragic Discourse. Shestov’s and Fondane’s existential thought, Bern, Oxford, New York, Peter Lang Editions, 2006, pp. 225-234.
[2] Dans le fonds Fondane de la bibliothèque Doucet sont conservés les manuscrits du Festin de Balthazar (Ms 7060, 7062, 7063, 7064); de Philoctète (Ms 7067, 7068, 7069); et du Puits de Maule (Ms 7070). L’on y trouve aussi un texte inachevé intitulé Œdipe (Ms 7066).
[3] « Ahasuer. Drama într’un act de Herman Heijermans, traducere din holandeză, despre limba germanică de B. Fundoianu ». Herman Heijermans (1864-1924), avait publié en 1912 : Ahasverus, Toneelbibliotheek, IIe serie N° 9, 1912. La pièce traitait des effets d’un pogrom sur une famille juive russe.
[4] Voir l’article de Carmen Oszi dans ce cahier.
[5] Voir l’article de Hélène Lenz dans ce cahier.
[6] Voir l’article de Monique Jutrin dans ce cahier.
[7] Texte publié dans le Cahier Benjamin Fondane no 10.
[8] Voir l’article de Mircea Martin, « Ecrits sur le théâtre » dans ce numéro. Fondane a publié des articles sur le Théâtre National de Jassy dans Rampa, I, 145, 3 fév. 1916, p.2 ; I, 156, 14 fév. 1916, p. 2 ; I, 162, 20 fév. 1916, p. 2 ; I, 182, 11 mars. 1916, p. 2 ; sur Hamlet et Electra, Rampa, I, 216, 17 avril. 1916, pp. 1-2 ; sur Hamlet et D’Annunzio, Rampa, 7 janvier 1920, p. 1 ; sur Ibsen, Rampa, II, 412, 9 fév. 1919, p. 1 ; II, 418, 16 fév. 1919, p. 1 ; sur Monna Vanna, Rampa, IV, 23 janvier 1920, p. 1 ; sur les acteurs roumains, Rampa, IV, 763, 14 mai 1920, p. 1 ; IV, 766, 17 mai 1920, p. 1 ; IV, 772, 23 mai 1920, pp. 1-2 ; IV, 776, 30 mai 1920, p. 1 ; sur Claudel, Rampa, V, 959, 3 janvier 1921, p. 3.
[9] Fondane publia ensuite un article sur Copeau dans Integral (Bucarest), I, 2, 1er avril 1925, p. 12.
[10] Il est intéressant de noter qu’il exista une revue symboliste intitulée Insula, qui parut à Bucarest en mars-avril 1912 et qui n’eut que trois numéros. Parmi les collaborateurs : Bacovia, Claudia Millian, Ion Minulescu. À propos d’Insula, voir la communication de Hélène Lenz dans ce numéro.
[11] Dans le Fonds Fondane à Yale se trouvent deux programmes : de décembre 1922 et de février 1923.
[12] Ion Morţun (1877-1940) joua au Théâtre National de Jassy et à Craiova, dans les pièces de Ronetti-Roman, Gorki, et Ibsen.
[13] Victoria Mierlescu (1905-1992), diplômée du Conservatoire d’Art Dramatique de Bucarest en 1924, joua dans une vingtaine de pièces radiophoniques et une dizaine de films.
[14] Sandu Eliad, devenu journaliste et régisseur de théâtre, est censé avoir découvert Maria Tanase, la grande chanteuse de musique populaire roumaine des années 30.
[15] Lucas Gridoux (1896-1952), devenu acteur de cinéma, a joué dans une quarantaine de films entre 1932 et 1951, y compris dans Rapt (1934).
[16] Voir l’article d’Eric Freedman à ce propos dans les Cahiers Fondane, 10, 2007, pp. 198-205.
[17] Fondane et Antonin Artaud se sont rencontrés vers 1928 au Café Select à Montparnasse (d’après Florence de Mèredieu, C’était Antonin Artaud, Fayard, 2006), Fondane prit la défense de son Théâtre Alfred Jarry, en l’encourageant à aller aussi loin que possible vers un « théâtre sans mots ».