SOCIÉTÉ D'ÉTUDES BENJAMIN FONDANE

Entre mystique et philosophie N° 21

Eve Griliquez

(1927-2017)

Ève Griliquez, née Herscovici, s’est éteinte le 4 août dernier à Paris. Cette comédienne, dont le père était originaire de Jassy, ne manquait jamais de rappeler que, comme Fondane elle était née un 14 novembre. Long et impressionnant parcours que le sien. L’on ne peut compter les théâtres, cabarets, lieux où elle fut à l’affiche, les spectacles qu’elle monta, les émissions dont elle fut productrice ou animatrice, à Radio Sorbonne et France Culture en particulier, toujours consacrés aux poètes qu’elle affectionnait. « Dire des poèmes fut toujours pour moi indispensable » avouait-elle.
Parmi ses activités foisonnantes, entre autres à l’Académie Charles Cros dont elle était membre, elle s’attacha tout particulièrement à faire connaître les poètes juifs. Claude Sernet, dont elle fit la connaissance en 1965, lui offrit la Préface en prose : « je suis restée subjuguée » déclara-t-elle. Elle inclua le poème dans son premier disque : L’Honneur des poètes et réalisa plus tard un montage poétique intitulé Les Hérauts noirs avec Fondane en tête. Puis elle le présenta en des lieux divers, notamment au cabaret Le Loup du faubourg à Paris, « un lieu mi-rebelle mi-rêveur », et aussi en banlieue, à Avignon, ou dans des manifestations comme le Printemps des poètes et le Marché de la poésie, ainsi que lors des rencontres et des colloques de la Société Benjamin Fondane. À l’étranger, elle organisa des soirées poétiques autour de Fondane à l’Institut français de Bucarest, en Argentine, en Israël.
Mais c’est le spectacle Crier toujours jusqu’à la fin du monde, créé en 1997 au Théâtre du Tourtour, auquel participaient le comédien Yves-Jacques Bouin, le chanteur Jacques Grober et l’accordéoniste Micha Nisimov qui fut le plus marquant. Construit à partir d’un montage de textes poétiques extraits de Paysages et du Mal des fantômes retraçant l’itinéraire du poète, depuis son enfance à Jassy jusqu’à sa fin en déportation. Eve s’y révélait toute en intériorité, ardente, habitée par la plus grande ferveur. C’est lors de la reprise de ce spectacle, à l’automne 1998, que je fis sa connaissance. A mon tour subjugué par cette poésie qu’on entendait si bien dans cette petite cave intime, j’allai la trouver dans sa loge pour lui exprimer mon admiration. C’est elle qui me mit en relation avec la Société Fondane, et j’eus aussi la joie de recommander son beau spectacle lors d’une émission de radio. Il fut enregistré par ses chers amis musiciens Luis Rigou et Hélène Arntzen qui en avaient conçu les musiques originales. 1

« C’est dur d’intéresser les gens à la poésie » confiait-elle. Sans doute, mais à force d’enthousiasme et de persévérance, quelle merveilleuse « passeuse » de poésie était celle qui n’eut de cesse de nous faire connaître ou réentendre ces voix de poètes disparus et, avant toutes les autres, celle de Benjamin Fondane.

Eric de Lussy


1 - On trouve sa discographie, dont plusieurs titres sont disponibles, dans le livre qu’elle a écrit avec Frank Tenaille, Le libre parcours d’Eve Griliquez, éditions du Layeur, Paris, 2005, où elle évoque avec chaleur ses souvenirs. Une exhaustive nomenclature de ses spectacles, créations, émissions, interventions y est également présentée.