SOCIÉTÉ D'ÉTUDES BENJAMIN FONDANE

Fondane homme de théâtre - Au temps du poème N° 20

Notes inédites sur Le Désir d’éternité de Ferdinand Alquié

Benjamin Fondane

 Donc : l'action, la sérénité, la paix. Mais c'est un idéal que les fourmis, les abeilles, les castors, les termites ont déjà atteint avant l'homme et mieux que lui. L'animal est raisonnable ; on n'en voit pas d'avare, d'amoureux, d'ivrogne, de mystique. La seule vertu que l'animal partage avec l'homme c'est le parasitisme ; encore n’en jugeons-nous qu’après des apparences. L'animal est raisonnable : il fait sa tâche sans se plaindre, ne pleure pas de morts, ne songe jamais au passé, ne refuse jamais le temps, va docilement à l’abattoir. En leibnizien convaincu qui sait ce qui lui semble le mal n'est là que pour le plus grand bien possible. Il se soumet aux lois de la nature. Alors, quoi ? viendra un jour où un philosophe, peut-être, remarquera ce qui crève les yeux si nous étions des métaphysiciens et non pas des éthiciens : que l’homme n’est pas davantage, mais moins raisonnable que l’animal. Et que ce qui distingue l’homme de l’animal, c’est précisément le fait qu’il vit dans son passé, qu’il refuse le temps, a soif d'éternité, et ne peut se contenter de moins que de l'impossible. C’est le seul animal que rien n’a réussi, et ne réussira, très probablement  à rendreraisonnable,et qui a besoin, de temps en temps, pour s’en souvenir de lire un petit traité d’éthique. J’ai dit que celui de M. Alquié est sous tous les rapports excellent. [ fin page 1]

Les animaux peuvent-ils devenir fous ?

- La lapine à qui j'enlève ses petits pour les manger a l'air de ne même pas s'en souvenir alors que la louve défend ses petits et le chienpleureson maître décédé. C’est la lapine qui est la plus raisonnable selon M. Alquié et d’ailleurs, selon Platon. Plus nous nous élevons dans l’échelle animale et plus nous voyons l’être s’arracher au pur présent et distinguer dans le temps – passé et avenir. La passion, loin d’être un réflexe naturel du vivant est une espèce de LUXE. Refuser le temps c’est se SITUER – même par rapport au temps. Il n’y a de temps que PARCE QUE nous imaginons l’éternité. Le temps est ce qui change, dit M. Alquié ; mais comment m’apercevrais-je de l’existence de ce changement par rapport à ce qui ne change pas ? {fin page 2] 

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La thèse d'Alquié est que l'homme doit ne vouloir suivre que « son humaine route » et que cela n'est possible 1/ qu'en acceptant le temps 2/ en demeurant fidèle à l'Esprit. Mais sa démonstration est compliquée car elle pose que tout refus du temps est passion ; mais, d'autre part, toute passion est passivité, et le temps est la première de toutes les passivités connues (p.158). Toute passion est erreur, dit-il, « car toute erreur est moindre conscience » ( p. 22) et le temps est un pur irrationnel. Le contraire de la passion c'est l'action ; mais l'action n'est rien sans la valeur et on ne la trouve pas dans le temps ; elle n'est donnée que par l'Esprit, et vous ne savez pas ce que c'est sinon le plus de conscience–mais non du temps, certes, mais de l'éternel – et il veut que l'on refuse l'éternel ; cependant l'Esprit procède de l'éternel, mais ne peut le connaître, car l'éternel est un irrationnel ; il commande notre action, mais que vaut une action commandée par l'inconscient.

Alquié combat le système de Spinoza et presque toutes les métaphysiques qui ont fui le temps ; mais comment accepter le temps – notre plus grande dépendance[fin page 3] et passivité, sans renoncer à l'intégrité de l'Esprit ? Et comment rester fidèle à l'Esprit si on accepte lapassiondu temps. Le temps, dit-il est ce qui change, bouge, crée et en cela il est la seule réalité ; et cependant il exige qu'on leconnaisse( ce qui est impossible), qu'on lui impose des valeurs ( ce qui est le nier), qu'on demeure fidèle à l'Esprit, ce qui est l'arrêter et nier sa nouveauté, ses créations.Il accepte le temps, mais ne veut accepter le FAIT ; or la passion est un fait, il l'appelle uneerreur,et le temps devient vérité ; il veut du temps mais non de la contradiction ; il en appelle au conflit, comme seul vrai mais nous promet la paix, qui est erreur ; il veut que nous refusions le passé, mais que nous acceptions la mort ; et pourtant le passé selon lui, c'est la mort. Il dit que l'art ne saurait comme lamystique, atteindre l'Esprit en soi ( p 147) ; mais nous parle de la suspecte expérience mystique ( p 149). Il appelle la métaphysique de Spinoza une métaphysique charnelle[fin page 4], mais nous démontre que sa solution est la solution divine et non humaine – ce qui voudrait dire que la solution divine est charnelle et la solution humaine spirituelle. Il prône l'action –- qui seule est vérité – nous dit qu'elle est en nous «  l'effort de chaque jour » ( p 242) ; le « progrès des hommes » ( 153) ce qui permet de n'être pas vaincu par le cours des choses » ( 154) et cependant exige le refus de tout autre chose que le temps–pour lequel nous sommes des vaincus. Il insiste continuellement sur nos « tâches d'hommes », sur « notre humanité » et pourtant ne veut que le moi dépouillé qui ne représente que « l'impersonnelle universalité de la raison » ( 130).

« On voit la difficulté qu' éprouve un chercheur sans prévention » dit-il p. 129. On voit ses difficultés, mais on voit aussi ses préventions.

Il veut le temps – mais entend le dépasser (p 112) et même le dominer ( p. 113). La passion ne veut pas autre chose. [fin page 5]

Ces notes inédites (1943) ont été offertes par Jeanne Tissier à Monique Jutrin. La première page est écrite à l’encre, les suivantes au crayon.