SOCIÉTÉ D'ÉTUDES BENJAMIN FONDANE

L'Art en question N° 23

Éditorial

En guise de préambule, j’aurais aimé évoquer le miracle de Peyresq, qui nous plonge pour quelques jours dans une durée autre, où se dissout le temps mesurable. Toutefois, dans la pesanteur d’une pandémie qui nous plonge dans un espace rétréci, dans un temps disloqué, à l’heure où nous souffrons d’un mal des fantômes, une phrase de Fondane me revient à l’esprit : « Nous vivons dans le peut-être », lisons-nous dans une lettre de 1941 à Jean Ballard.

Pour nous réconforter, jetons un regard sur l’année écoulée : elle fut riche en promesses réalisées, avec de nombreuses publications : livres, traductions, participations à des colloques, de Carcassonne à Zürich, de Padoue à Bucarest. Notre Cahier 23 poursuit une réflexion sur la question de l’art, sujet qui n’a cessé de hanter Fondane. Dès le Faux Traité de 1925, il s’interroge : y aurait-il donc un autre art, que l’art ? Il ne pourra donner une réponse satisfaisante qu’après sa découverte des travaux de Lévy-Bruhl, ainsi que le démontre son Métaphysicien malgré lui, cet inédit enfin publié aux éditions de l’Éclat l’automne dernier grâce aux efforts de Serge Nicolas, de Dominique Guedj, sans oublier ceux de l’éditeur Michel Valensi.

Ce Cahier 23 contient de nombreuses découvertes, dont celles de textes inédits. Le premier chapitre réunit des commentaires autour du Faux Traité de 1925 par Monique Jutrin et Serge Nicolas, ainsi qu’un article, « Faut-il brûler le Louvre ? », découvert par Aurélien Demars. Celui-ci a toujours insisté sur l’originalité des articles de jeunesse, permettant de mieux saisir la genèse des questions qui taraudaient Fondane depuis l’adolescence. Le chapitre suivant renouvelle la lecture du Festin de Balthazar, à la fois dans l’optique de la philosophie (Alice Gonzi) et dans celle de la pensée juive (Saralev Hollander). Suivent des considérations dans le domaine encore inexploré de la critique d’art (Carmen Oszi et Hélène Lenz). Quant à la figure d’Armand Pascal, peu connue, elle est enfin éclairée, grâce aux recherches d’Eric de Lussy et d’Agnès Lhermitte. Des études philosophiques et littéraires nous révèlent des connivences entre Pascal, Pythagore, Valéry et Fondane (Jean Dhombres), nous font relire Baudelaire et l’expérience du gouffre dans une perspective nouvelle (Margaret Teboul). Heidi Traendlin commente une lettre inédite de Fondane à Bousquet, découverte par Gheorghe Samoilă, qui malheureusement nous a quittés l’été dernier. Durant la séance consacrée à l’art pictural, Marina Levikoff nous a présenté ses dernières œuvres, inspirées par la poésie de Fondane.

Peyresq, lieu de recherche et de discussion, mais aussi lieu de randonnées et d’escalades sous la conduite d’Evelyne Namenwirth et de Serge Nicolas. Sans oublier nos rencontres avec une faune familière, comme ces papillons qui picorent dans nos assiettes, ce crapaud qui nous attendait un soir devant la porte de Phidias, et le chat de Louisette Sgaravizzi, impérial, trônant dans sa demeure.

Fondane est de plus en plus souvent évoqué dans les romans contemporains. Un soir à Phidias, Agnès Lhermitte nous a lu un chapitre du dernier roman de Sylvie Germain : Le Vent reprend ses tours, où le protagoniste déambule dans Paris et s’arrête au 6 rue Rollin pour lire l’inscription de la plaque commémorative. Contactée par Agnès, Sylvie Germain lui répondit : « Il est bien que le nom de cet homme – trop méconnu – soit dit et redit, et il est surtout bien qu’il existe des fondaniens pour faire vivre sa mémoire et ses écrits. »

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Sur la couverture de ce Cahier : une simulation de la sculpture projetée par Elisabeth Raphaël en hommage à Benjamin Fondane, telle que la sculptrice rêva de la placer, surplombant la rue Monge. Cette œuvre inspirée par deux vers de L’Exode : Écoute mon cri dans la nuit/et ouvre ton oreille avare, se veut cri d’espoir.