SOCIÉTÉ D'ÉTUDES BENJAMIN FONDANE

Situation de Benjamin Fondane poète N° 7

Benjamin Fondane lecteur de Brice Parain

Claire Gruson

Parmi les livres de la bibliothèque de Fondane retrouvés à Royaumont, figure une œuvre de Brice Parain, Recherches sur la nature et les fonctions du langage, publiée en 1942 chez Gallimard. Ce volume a retenu mon attention par son titre, à cause du personnage de Brice Parain que j’avais entrevu dans un film de Jean-Luc Godard et surtout à cause des annotations marginales que Fondane y avait fait figurer au cours de sa lecture, en 1943. On a là un exemple révélateur d’un mode de lecture  “corps à corps” (selon l’expression de Monique Jutrin). Le lecteur dialogue avec le texte, le commente, le discute, propose des corrections comme s’il s’entretenait avec l’auteur. J’ai donc tenté de lire Brice Parain, de déchiffrer les marginalia de Fondane, d’esquisser les termes d’un dialogue qui est peut-être celui du philosophe et du poète.

             “Qui peut savoir le trouble suscité par un livre ?” [1]. Je chercherai d’abord, à partir de ce volume, à apporter quelques compléments descriptifs aux articles publiés dans le numéro 4 des Cahiers consacré à Fondane lecteur. Puis j’en viendrai à une brève présentation de Brice Parain, de sa thèse à son autobiographie intellectuelle, et d’une œuvre qui peut être définie comme une méditation sur le langage, étroitement  “mêlée à l’histoire de sa vie et à notre histoire.” J’aborderai ensuite quelques traces de la lecture que fait Fondane de Recherches sur la nature et les fonctions du langage. Ce qui rend Fondane attentif à l’œuvre de Parain est sans doute la réflexion sur le langage comme problème métaphysique.

Un mode de lecture

             Le volume retrouvé à Royaumont est fréquemment annoté. Le Cahier °4 et l’introduction à Images et livres de France ont déjà donné une idée précise de la manière dont Fondane pratiquait son  “métier de lecteur”. J’y ajoute quelques observations.

            Fondane souligne des mots, des phrases. S’il approuve une idée, un  “NB” s’inscrit en marge : ce  “Notez bien” n’est pas une précision ajoutée en note mais un signe pour attirer l’attention sur une remarque importante. Un index apparaît sur la page de garde : il comporte sept numéros de pages et quelques mots clés :  “début” (associé bizarrement à la dernière page du volume),  “dictionnaire” (associé à la page 93, c’est-à-dire une page sur Blaise Pascal et sur le sens des mots),  “mal baudelairien”. Des commentaires explicites et même des corrections marginales sont à déchiffrer, à côté de points d’interrogation et d’exclamation. Parfois, Fondane place un mot entre parenthèses et propose en marge de le remplacer par un autre. Ainsi à deux reprises, les hommes caractérisés par Brice Parain comme des êtres  “logiques” sont redéfinis comme  “parlants” ou  “de parole”. La  “conversion” à la loi du langage est remplacée par la  “soumission”. Ou encore, si Fondane souligne par un  “NB”  l’intérêt d’une phrase, il lui oppose soit une objection explicite ( “NB mais”), soit des numéros renvoyant à d’autres pages du volume, suggérant ainsi des contradictions ou des paradoxes à l’intérieur même du texte. L’emplacement des chiffres notés en marge (du plus grand au plus petit) donne à penser que la lecture de Fondane s’effectue une deuxième fois, mais à rebours. Arrivé au terme de sa lecture, page 190 (notée en index  “début”), il revient en arrière et établit des correspondances à l’intérieur du texte. On peut penser à cette interrogation d’Ulysse :

“ Pourquoi lisez-vous donc votre livre à rebours

Vous n’arrivez jamais et vous partez toujours” [2]

            Tout indique donc que la lecture de ce volume a mobilisé l’attention de Fondane, qu’elle le conduit vers la formulation de nouveaux problèmes concernant le langage. Envisageait-il d’en faire un compte-rendu par exemple pour les Cahiers du Sud ? Les chroniques de Fondane dans cette revue s’espacèrent pendant la guerre. Simone Weil (sous le nom d’Emile Novis), Gaston Berger, Ferdinand Alquié y assurent les chroniques philosophiques.  C’est Sartre qui, en 1944, présentera le texte de Parain en deux chroniques réunies ensuite dans Situations sous le titre  “Aller et retour” . Fondane place difficilement ses articles pendant la guerre. Qu’il ait eu ou non le projet d’un article, sa lecture de l’ouvrage de Brice Parain se conçoit comme une autre face de l’activité d’écriture, comme un dialogue vivant avec l’auteur.

 Itinéraire d’une recherche.

            Fils d’instituteur, normalien, philosophe, Brice Parain est né en 1879 et mort en 1971. Diplômé des Langues Orientales, il devient attaché culturel et effectue son premier séjour en URSS en 1925. Deux ans plus tard, il revient en France, rencontre Jean Paulhan, devient le secrétaire de Gaston Gallimard.  D’abord communiste au moment de son séjour en URSS, il se détache de ces idées au début des années 30. Pendant la seconde guerre mondiale, il garde certaines fonctions à la NRF : fin 1939, il assure une permanence de la maison (« ma maison », dit-il) alors que Gallimard et Paulhan sont partis à Carcassonne ; en août 40, il remet aux autorités d’Occupation le stock de livres interdits par la liste Otto. Il traverse cette période sans prendre de position et se consacre à sa recherche. En 1942, il présente sa thèse, Recherches sur la nature et les fonctions du langage et sa thèse complémentaire, Le logos platonicien. Une abondante bibliographie comporte outre sa thèse, des essais, des romans, des pièces de théâtre et son autobiographie intellectuelle publiée en 1960, De fil en aiguille. Ce titre souligne la cohérence d’une vie.  “Les livres de Parain représentent pour leur auteur une seule méditation, étendue sur de longues années, étroitement mêlée à l’histoire de sa vie et à notre histoire”, écrit Camus dans Poésie 44. Le  “fil” de cette continuité biographique est celui de la défiance à l’égard du langage. Quelle en est l’origine ? Cette défiance s’enracine tout autant dans le mutisme paysan auquel cet écrivain lettré d’origine paysanne n’a cessé de se référer que dans la stupeur des combattants de la guerre de 14, incapables de témoigner de ce qu’ils ont vécu.  “Nous avons connu cette stupeur au retour de la guerre. Une longue pratique de la méfiance à l’égard des discours et des livres nous avait finalement réduits aux émotions élémentaires. Nous n’étions sûrs de ne pas rêver qu’aux moments sans images ni paroles où nous n’étions plus rien d’autre qu’une joie totale, comme si nous venions de naître, ou qu’une tristesse naturelle, comme si nous étions en train de mourir. Tout ce qui n’était pas naissance ou mort nous paraissait mêlé de mensonge et de tricherie. Car, survivants de tant de morts, la mort était à nos yeux le vrai prix de la guerre et nous qui n’étions pas morts, nous ne l’avions pas payé.” [3].

            L’enquête de Brice Parain.  

 “Il n’est pas sûr que notre époque ait manqué de dieux. On lui en a proposé beaucoup et le plus souvent bêtes ou lâches. Il semble bien, au contraire, qu’elle manque d’un dictionnaire. C’est une chose du moins, qui paraît évidente à ceux qui espèrent pour ce monde, où tous les mots sont prostitués, une justice claire et une liberté sans équivoque. Mais la question que vient de poser Brice Parain est justement de savoir si un tel dictionnaire est possible, et surtout s’il peut se concevoir en dehors d’un dieu qui lui donne ses significations.” [4]. C’est en ces termes que Camus formule en 1944 le problème posé par les Recherches. Parain parle du langage comme d’un problème métaphysique et non historique ou psychologique et il s’interroge : notre langage est-il mensonge ou vérité ? Est-il mensonge au moment où nous croyons dire vrai ? Les mots sont-ils chair ou coquille vide ? “La pensée profonde de Parain est qu’il suffit que le langage soit privé de sens pour que tout le soit et que le monde devienne absurde. Nous ne connaissons que par les mots. Leur inefficacité démontrée, c’est notre aveuglement définitif.” [5]

            Les Recherches sur la nature et les fonctions du langage constituent une histoire de la philosophie, des pré-socratiques à Hegel, considérée comme l’histoire des échecs de la pensée devant le problème du langage. Dans sa conclusion, Brice Parain distingue deux catégories de philosophes : les  “fous” et les  “sages”. Platon et Pascal mènent une entreprise folle  en ce qu’ils postulent une origine du langage au-delà de ce qui est du domaine de la connaissance humaine. Sages sont Aristote et Descartes en ce qu’ils acceptent les limites de la connaissance imposées par la nature. Voici sa conclusion (indexée par Fondane sous le mot  “début”). “L’entreprise de Platon était peut-être folle, comme le sera aussi, peut-être, celle de Pascal, car ce n’est sans doute pas notre fait de connaître l’origine du langage et les raisons qui font de lui le support naturel de notre pensée. Mais, du moins, lui était-elle imposée par le souci irrémédiable d’élucider les postulats de notre réflexion. L’attitude d’Aristote est peut-être plus sage, comme le sera aussi celle de Descartes, si elle nous enseigne seulement à accepter notre condition d’être pensants et à jouer de notre mieux ce personnage. Mais elle nous laisse insatisfaits, faute de pénétrer les principes de cette condition. Toute métaphysique du langage est hasardeuse, certes, mais aucune théorie de la connaissance ne peut être achevée sans une métaphysique du langage.” [6]

 Les interventions de Fondane lecteur

La  “lutte” entre le signe et le signifié.

            Plusieurs passages soulignés dans le texte de Parain concernent l’inadéquation entre le signe et le signifié.

Les hommes n’attachent pas aux mots la même signification : une longue citation de Pascal au sujet du sens courant et du sens philosophique du mot temps illustre l’idée que tous les hommes n’attachent pas aux mots la même signification car celle-ci n’est “ ni naturelle, ni précise”. En marge de cette citation soulignée, Fondane écrit  “NB” et  “dictionnaire”.

Dans le même chapitre, Parain expose la controverse entre Descartes et Pascal sur le contenu des mots. Pour Descartes, les mots en eux-mêmes ne sont ni trompeurs ni arbitraires. C’est nous qui les appliquons sans discernement. Descartes postule que nous sommes tous capables de donner aux mots la même signification, celle qui est juste. Si nous voulons utiliser le langage à bon escient, cela implique que nous dominions nos passions. Pascal réfute Descartes, n’oubliant jamais, souligne Brice Parain, que “ les mots n’ont pas la même richesse pour tous et que, par conséquent, ils ne peuvent servir à une communication exacte ni des hommes entre eux, ni de la vérité aux hommes.” [7] Cette controverse est curieusement prolongée, en cette année 1942, par la question de savoir si un Français et un Allemand peuvent avoir les mêmes pensées et raisonnements touchant les mêmes choses quoique néanmoins ils conçoivent des mots entièrement différents. Fondane s’interroge en marge : “ ces français et allemands ont-ils les mêmes pensées après avoirpurifié ?”

L’impuissance à prouver. Dans le chapitre 5 consacré par B. Parain à “L’invention”, Fondane souligne d’un  “NB” cette phrase qu’illustre ensuite l’histoire des tentatives de réhabilitation du capitaine Dreyfus :  “Cette impuissance à prouver ce qui nous paraît pourtant évident est une source d’erreurs judiciaires si intolérables qu’elle nous révolte contre nous-mêmes : nous en accusons spontanément le langage, qui est l’instrument de la démonstration, et par suite notre nature elle-même tout entière d’une imperfection irrémédiable.” [8]

 “Ainsi l’histoire de nos vérités se confond avec la lutte obscure, sournoise et jamais achevée entre le signe et le signifié” écrit Fondane dans le chapitre 3 du Faux traité d’esthétique. Qui est susceptible de reconnaître et d’assumer l’existence de cette lutte ? A deux reprises, Fondane cherche à insérer dans le texte de Parain une distinction  “fondamentale” entre l’homme  “normal” appelé aussi  “l’opinion”, le poète et le philosophe. Le malheur de l’homme réside dans cet essai de trouver l’adéquation entre le signe et le signifié, entre ses vérités et le réel. L’homme  “normal” force le passage, c’est-à-dire n’admet pas cette inadéquation. Le poète essaye de vivre cette tension. C’est en cela qu’il vit le  “gouffre”.

 

       Les ambiguïtés d’Aristote : le rôle de la poésie.

            Aristote, nous dit Parain, avait appris de Socrate que ce ne sont pas les choses qui se nomment dans nos expressions et de Platon que les mots doivent avoir un sens immuable pour que l’esprit humain puisse raisonner. La question des origines du langage est vaine. Il suffit de poser que les mots conviennent à notre usage et  d’établir les règles auxquelles nous devons nous soumettre pour parvenir à la vérité.  “Or, commente Parain, c’est bien dans la connaissance que le langage révèle sa véritable nature, puisque notre destination la plus haute est de parvenir à la vérité et d’éviter l’erreur. Le véritable rôle du langage est donc de nous servir d’instrument dans cette entreprise.” [9] Fondane coche ces phrases par un  “NB” mais les confronte à trois passages soulignés par ailleurs.

            Notre langage exprime à la fois des essences et des états d’âme, des idées , des humeurs. Il est par là même exposé à une double méfiance. Ainsi, lorsque je dis que  “l’ovale de mes abricots est plus allongé que celui de mes mirabelles” je parle de l’ovale, c’est-à-dire d’une représentation imaginaire (que je ne peux montrer, comme un arbre ou une table). J’ai conçu cette expression pour désigner les propriétés de certaines lignes : c’est une abstraction. Quant aux abricots, je peux dire que j’ai donné ce nom aux fruits que je ramassais sans me préoccuper de savoir pourquoi je leur attribuais ce nom plutôt qu’un autre. Dans les deux cas, le mot est le produit du fonctionnement du cerveau des hommes. Pour aller vers la vérité, il faudrait que chaque mot soit univoque. Or, si l’on donne un contenu unique aux mots, alors on fait de la science. Mais on perd du même coup l’expérience sensible.Derrière chaque mot, chacun placera des sensations particulières, (son propos sera donc incommunicable) ; ou bien, en passant par l’abstraction, on ne pourra reproduire la réalité du monde sensible. De là vient le paradoxe formulé par Brice Parain et souligné par Fondane :  “dans le premier cas les mots seront vite réduits à n’avoir d’autre sens que d’exprimer nos humeurs et tout langage deviendra littérature, dans le second cas, le système logique développé à partir de quelques propositions simples apparaîtra bientôt comme le produit d’un rêve ou l’atroce divertissement dont un prisonnier occuperait sa solitude.” [10]Il faut souligner ici l’image du prisonnier : dans sa solitude, il n’a rien, aucun support matériel. Il occupe son esprit avec l’idée de ligne droite, de cercle, de losange. C’est son « atroce divertissement. »

Fondane oppose deux autres passages à cette conception aristotélicienne du langage comme instrument pour parvenir à la vérité. Ces extraits associent étroitement poésie, liberté et silence. Dans sa conclusion, Parain rappelle l’origine de sa recherche : l’inquiétude au sujet de la liberté. Je peux me croire libre. Je ne peux parvenir à me dire libre. Cette parole n’est pas crédible. Elle ne peut que susciter le rire ou le sarcasme. “Cependant, ajoute-t-il, si c’est un poète, dont j’aime les poèmes, qui me le suggère, je ne proteste pas, je rêve, au contraire, de sa promesse, comme si elle devait être tenue.” [11]. En marge, Fondane approuve mais il ajoute une question :  “pourquoi ?”. A la fin de sa conclusion, Parain écrit :  “Plus, donc, nous sommes près du silence, plus nous sommes près de la liberté.” [12] La poésie est une courte parole entre deux silences. Elle est le refuge avant la mort. Parain l’associe à la grâce. Il a recours au langage théologique, définissant la grâce comme  “le redressement inespéré d’une âme vers la béatitude”. Il l’associe aussi à la berceuse que chante la mère à son enfant, au mot  “fleur”, dasn la chanson anonyme.

A propos d’Aristote, Fondane construit donc un index qui souligne les faiblesses de cette théorie de la démonstration qui fait du langage l’instrument de la vérité. C’est cet index qui, en reliant des passages distincts du texte de Parain, associe les mots poésie et liberté. Fondane interroge Parain : pourquoi le mot liberté est-il crédible lorsqu’il est prononcé par le poète ? Parain s’arrête au seuil de cette question, sans la résoudre ni même la poser.

 

            L’analyse des annotations marginales de Benjamin Fondane n’est pas épuisée. Mais elle confirme le portrait que fait Gilla Eisenberg d’un  lecteur passionné, polémiste, “en quête d’associations”, vigilant sur les contradictions, engagé, comme le lecteur du Talmud, dans “une discussion vivante et passionnée avec le texte” [13].

            Il faut resituer cette lecture dans son contexte pour en reconstituer la complexité. Brice Parain, soldat de la guerre de 14, brillant normalien d’origine paysanne, attaché culturel, intellectuel engagé, soucieux des  rapports de l’intellectuel et de l’action et du rôle du mensonge dans la vie sociale, s’abstient de toute prise de position pendant la guerre, écrit sa thèse et la publie en 1942, en posant le langage comme un problème métaphysique. Le contexte est celui de l’Occupation, de l’ambiguïté du langage de l’époque de Vichy, de la perversion du langage par le fascisme. Camus, Sartre, Fondane lisent en même temps cette œuvre. Les deux premiers écrivent des articles. Nous n’avons que les notes de Fondane. Peut-on imaginer ce qu’il aurait écrit sur ce texte ?

Curieusement, on l’a vu, Fondane associe à la dernière page du livre de Parain le mot  “début”.  En effet, l’aporie sur laquelle débouche Parain incite à ne pas conclure :  “toute métaphysique du langage est hasardeuse, certes, mais aucune théorie de la connaissance ne peut être achevée sans une métaphysique du langage.” La question ne peut donc qu’être indéfinimement posée et Camus a raison de présenter l’œuvre de Parain comme  “un interminable travail de réflexion sur le langage”.

            La première  “conclusion” de Parain pouvait pourtant laisser croire au recours constitué par la poésie si celle-ci est associée au silence ou  à  la chanson maternelle. [14] Fondane s’interroge : pourquoi croit-on le poète lorsqu’il parle de liberté  “comme une promesse” ? Parain ne s’engage pas dans cette recherche. En dépit de sa conclusion, la parole du poète lui inspire d’ailleurs plutôt de la prévention ; il l’associe volontiers, lorsqu’elle n’est pas la  “fleur” de la chanson populaire, à la séduction voire à la manipulation [15]. Une note située à la fin des Recherches propose plutôt une sorte de discipline intérieure fondée sur l’honnêteté et l’idée que nos paroles nous engagent :  “La vie la plus vraie est celle qui commence par déterminer dans le langage, l’acceptant comme règle et avec toutes les justifications requises par la vérité logique, l’action à accomplir, puis qui s’achève sur cette action.” [16]. Juste après le mot  “langage”, Fondane insère en marge cette ultime réflexion :  “NB mais lequel ? celui du poète ? du logicien ? de l’opinion ? Problème fondamental.”. Plus tard, dans Petite métaphysique de la parole, Parain répond en affirmant explicitement son choix de la philosophie :  “Nous voilà devant la concurrence actuelle : la poésie contre la philosophie. […] Quand la philosophie est vaincue, la violence l’emporte. Le langage devient véhément, obscur, puis l’isolement s’épaissit, préparant l’acte de terreur”. [17] Il y a là sans doute une divergence profonde avec Fondane dont la conception de la poésie est tout autre :

“ Dieu est mort ? Eh ! sans doute. Mais n’est-ce pas notre
tâche
de le ressusciter,
de l’engendrer à nouveau,
de lui communiquer notre sang,
de lui faire, la nuit venue, une place dans nos draps,
de lui céder dans notre verre
une part de boisson dont il se peut qu’il boive
- afin que son jeûne cesse
et notre exil aux terres chauves de la Stupeur ? ” [18]


[1] Benjamin Fondane, Images et livres de France, Paris-Méditerranée, 2002, p. 185.

[2] Ulysse, in Le Mal des Fantômes,  Paris-Méditerranée 1996, p. 109.

[3] Brice Parain, Recherches sur la nature et les fonctions du langage,  Gallimard, 1942, p. 2.

[4] Albert Camus, « Sur une philosophie de l’expression » de Brice Parain, Poésie 44, in Essais, Pléiade Gallimard, 1965, p. 1672.

[5] Albert Camus, op.cit., p.1673

[6] Brice Parain, op. cit., p. 190.

[7] Ibid. p. 99.

[8] B. Parain, op.cit., p. 67.

[9] Ibid. p. 47

[10] Ibid. p.56

   [11] B. Parain, op.cit., p. 180.

[12]  Ibid. p. 184.

[13] G. Eisenberg,  « De la rue Rollin à la rue Agron, à Jérusalem », Cahiers Benjamin Fondane  n°4, 2000-2001, p. 16

[14]  Les traces de cette réflexion sur le silence sont nombreuses dans l’œuvre de Parain : silence de stupeur des soldats de la guerre de 14 ; ou, dans un rêve de communisme idéal, silence d’hommes absorbés dans leurs tâches, quand « on n’a pas besoin, par conséquent, de s’en aller trop loin de soi, dans les espaces de la pensée irréelle. »

[15] Voir sur cette question sa correspondance avec Georges Perros publiée aux éditions Gallimard, 1999, p. 155sq.

[16] Brice Parain, op.cit. p. 183, note 1.

[17] Brice Parain, Petite métaphysique de la parole, Gallimard, 1969, p. 126.

[18]Benjamin Fondane, L’Exode, in Le Mal des Fantômes, Paris-Méditerranée, 1996, p. 310.